Voici bientôt sept semaines que 470 personnes sans-papiers font une grève de la faim à Bruxelles afin d’obtenir la régularisation de leur situation administrative. Leur santé se dégrade rapidement. Le gouvernement ne peut l’ignorer.
La Belgique compte environ 150 000 personnes sans-papiers sur son territoire. Elles se trouvent chez nous, en moyenne, depuis sept ans, et les trois quarts d’entre elles sont là depuis au moins cinq ans. Elles ont noué ici des liens affectifs, et elles y ont parfois fondé une famille. Leurs enfants fréquent nos écoles. Ils ont tissé des liens au sein de nos communautés.
La plupart des adultes sans-papiers travaillent, mais en tant que travailleurs et travailleuses informels, c’est-à-dire sans que cela ouvre un droit à la sécurité sociale. Ces personnes n’osent pas se tourner vers les autorités afin de se plaindre de l’absence de paiement d’un salaire ou de conditions de travail dangereuses. Compte tenu de leur situation vulnérable, comme le rappelle l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, elles sont soumises à diverses formes d’exploitation.
Les personnes sans-papiers ont du mal à trouver un logement décent. La plupart ont accès à un logement, certes, mais parfois insalubre, à des conditions parfois scandaleuses: elles sont une proie facile pour ceux qu’on appelle les « marchands de sommeil ». Une sur cinq ne dispose pas de bain, de douche, d’eau courante ou de toilettes avec chasse d’eau, et 60% d’entre elles sont dans des logements ayant des problèmes d’humidité ou un chauffage inadéquat. D’autres sont hébergés en institution, notamment par Fédasil. D’autres encore, un quart sans doute des personnes sans-papiers, sont à la rue. La possibilité pour les bourgmestres de réquisitionner des immeubles inoccupés n’est que rarement utilisée, notamment car les autorités communales ne souhaitent pas prendre la responsabilité de mettre à disposition des personnes sans logement un espace insalubre. Elles pourraient autoriser les associations de soutien aux sans-papiers à mettre le logement aux normes elles-mêmes, mais elles s’y refusent le plus souvent.
Les personnes sans-papiers ont droit à l’aide médicale urgente en Belgique, mais ce droit est parfois difficile à exercer, notamment car l’obtention d’une carte médicale dépend du bon vouloir d’un centre public d’action sociale, et que tous les médicaments ne sont pas remboursés. En outre, il n’est pas rare que les CPAS refusent d’intervenir lorsque les demandeurs ne disposent pas d’adresse: ils n’estiment pas devoir aider les personnes qui ne peuvent prouver qu’elles résident dans la commune. Enfin, certaines personnes sans-papiers craignent d’être dénoncées aux autorités fédérales. Le taux de non-recours au droit à l’aide médicale urgente est élevé.
Ces personnes ont des droits. Les instruments de protection des droits humains auxquelles la Belgique a adhéré s’appliquent. Dans l’ensemble, le droit à l’enseignement est garanti, car les écoles acceptent le plus souvent d’inscrire les enfants même si les parents sont en situation irrégulière de séjour sur le territoire. Mais le droit au travail dans des conditions justes et favorables, le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, ou le droit à un logement adéquat (ce sont les expressions qu’utilisent ces instruments de protection), sont quotidiennement violés. La manière la plus efficace de mettre fin à ces violations est de fournir à ces personnes des documents leur permettant non pas seulement de survivre, mais de vivre; de contribuer à la vie de la communauté d’accueil; d’être payé un salaire décent pour leur travail et de payer des impôts et contribuer à la sécurité sociale.
Voici bientôt sept semaines que 470 personnes sans-papiers sont en grève de la faim. Le gouvernement doit proposer des solutions immédiates, permettant à ces personnes d’avoir accès à un travail en toute légalité et à la formation professionnelle, dans l’attente d’un réexamen de leur situation. Et il doit mettre sur pied, sans plus attendre, un mécanisme indépendant pouvant examiner les « motifs exceptionnels », comme l’exprime la loi du 15 décembre 1980, permettant de régulariser leur situation. Il est grand temps. De toutes mes forces, je formule l’espoir qu’il ne faudra pas écrire bientôt: « il est trop tard ».