Les éléments suivants ont fait l’objet d’un communiqué lors de l’entrée en fonction du Rapporteur spécial, le 1er mai 2020, et synthétisent les priorités de son triennat (mai 2020 – mai 2023) :
Le ralentissement économique engendré par la pandémie de Covid-19 – la crise la plus grave depuis la Grande Dépression de 1929 – porte un coup sans précédent aux efforts d’élimination de la pauvreté. Cette crise affecte particulièrement les travailleurs indépendants, ceux du secteur informel ainsi que les emplois précaires : les premiers ont un accès restreint voire inexistant à la protection sociale en cas de maladie ou d’inactivité, tandis que les derniers seront en tête de liste des licenciements dans les entreprises en difficulté.
Pas moins de 4 milliards de personnes (55 % de la population mondiale) sont dépourvues de tout accès à une protection sociale, et seulement 29 % bénéficient d’une couverture sociale complète tout au long de leur vie, qu’il s’agisse des allocations familiales ou de chômage, des indemnités de maladie, des allocations d’invalidité ou des pensions de retraite.
La crise affecte par ailleurs les femmes de façon disproportionnée, puisqu’elles sont surreprésentées dans le secteur informel de même que dans certains segments consommateurs de main-d’œuvre des chaînes d’approvisionnements mondiales, où des licenciements en masse ont déjà eu lieu. Ce sont en outre les femmes qui supporteront la charge de travail supplémentaire que la fermeture des crèches, structures de garde d’enfants et écoles impose aux familles, et qui, plus souvent que les hommes, prendront soin des séniors et des personnes malades.
Dans un tel contexte, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté va se mettre à la tâche avec un sens d’autant plus aigu de l’urgence.
Les socles de protection sociale
Il entend tout d’abord contribuer aux efforts visant les socles de protection sociale universels, en s’appuyant sur la Recommandation n° 202 sur les socles de protection sociale unanimement adoptée en juin 2012 par la Conférence générale de l’Organisation internationale du Travail, de même que sur l’Observation générale n° 19 sur le droit à la sécurité sociale du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui définit les protections minimales requises pour honorer l’article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Car nous sommes encore loin du compte. Les travailleurs du secteur informel (61 % de la population active mondiale, soit 2 milliards de personnes) et ceux occupant des formes d’emploi atypiques, notamment le travail en juste-à-temps de l’économie des petits boulots, n’ont que peu voire pas d’accès à la protection sociale. Le non-recours aux droits demeure un phénomène répandu : les personnes ayant droit à des aides sociales n’en sont pas informées, rencontrent toutes sortes d’obstacles pour faire valoir ces droits, ont parfois honte ou craignent de contacter les services sociaux, par exemple, lorsqu’il s’agit de migrants sans papiers ou parce que leurs enfants risquent de leur être retirés.
En outre, différents pays sont dans l’incapacité de mobiliser des ressources suffisantes pour financer des régimes permanents de protection sociale fondés sur les droits humains. Le Rapporteur spécial œuvrera à créer une nouvelle facilité financière internationale pour appuyer l’établissement de socles de protection sociale, dans la lignée de sa proposition initiale d’un Fonds mondial pour la protection sociale déjà faite en 2012, en qualité de Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation.
Une « transition juste »
Le Rapporteur spécial contribuera également aux efforts visant à définir ce qui constitue une « transition juste » permettant d’atteindre la justice sociale tout en respectant les limites planétaires. Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 nous appelle à nous libérer du modèle de développement qui prône la croissance économique d’abord, pour ne se préoccuper qu’ensuite des dégâts causés à l’environnement et du creusement des inégalités provoqué par la loi de la compétitivité. Le Rapporteur spécial travaillera avec les gouvernements, les organisations internationales, les experts du monde académique, la société civile et les mouvements sociaux afin d’identifier de nouvelles approches d’accélération de la transition. Les approches déjà connues comprennent le renforcement de l’économie sociale et solidaire, le plaidoyer auprès des municipalités pour qu’elles soutiennent des initiatives citoyennes fondées sur le concept de patrimoine naturel commun, ainsi que davantage d’investissements dans les sources d’énergie renouvelables, l’isolation des bâtiments, les transports publics, l’agriculture agroécologique et les systèmes locaux de production alimentaire, ainsi que l’économie circulaire. Toutes ces approches peuvent stimuler les économies locales, créer des emplois et découpler la croissance économique de l’empreinte écologique. C’est là notre chance de construire un avenir vivable, qui mette un terme au creusement des inégalités et ouvre de nouvelles opportunités, en particulier pour les personnes marginalisées et socialement exclues, ainsi que les personnes peu qualifiées.
La participation des personnes en pauvreté
Aucun des objectifs qui précèdent n’est réalisable à défaut d’une participation active des personnes en pauvreté dans la conception et la mise en œuvre des innovations propres à porter l’élimination de la pauvreté extrême – l’objectif de développement durable numéro un. Les personnes vivant dans la pauvreté font l’objet de discriminations diverses, qui reposent le plus souvent non pas sur leur niveau de revenu lui-même mais sur les relations familiales, les écoles fréquentées ou les circonstances de l’enfance.
La transmission intergénérationnelle de la pauvreté demeure élevée. Cela est plus particulièrement dû au manque d’investissement dans la petite enfance, de même qu’à la stigmatisation de la pauvreté. Traditionnellement, les personnes en pauvreté ont par ailleurs été exclues des processus politiques : mal informées, rarement consultées, elles ont généralement été considérées comme un électorat sans importance. Pour changer ça, le Rapporteur spécial est résolu à travailler étroitement avec les personnes en pauvreté ou qui l’ont connue, afin de garantir la prise en compte de leurs connaissances uniques dans le cadre de son mandat, et de guider la recherche de solutions grâce aux innovations sociales que ces personnes ont expérimentées. Dans cet esprit, nous organiserons une série de « dialogues participatifs » sur des thèmes allant de la protection sociale adaptative à la discrimination pour précarité sociale, et de la formalisation des travailleurs informels au rôle des interventions dans la petite enfance, afin de rompre le cercle vicieux de la marginalisation économique et politique.