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Le Soir

Par Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté*; Meryame Kitir, ministre fédérale de la Coopération au développement

Un mécanisme de solidarité mondiale constituerait un puissant incitant pour les pays à faibles revenus à investir davantage dans la protection sociale, au bénéfice de leurs populations.

Trois millions de morts dans le monde : la pandémie du covid est d’abord une catastrophe humanitaire. Mais elle conduit aussi à un tsunami social : selon la Banque mondiale, entre 88 et 115 millions de personnes supplémentaires ont chuté dans l’extrême pauvreté en 2020, et entre 23 et 35 millions s’ajouteront en 2021. Le chômage et l’insécurité explosent. En raison de la chute des ventes dans le secteur de la confection textile, pour ne citer que cet exemple, de nombreuses ouvrières dans le Sud ignorent quand elles recevront leur prochain salaire, à combien il s’élèvera et si elles auront encore un emploi le lendemain. Ces impacts dramatiques s’expliquent : beaucoup de pays en développement ont investi trop peu dans la protection sociale au cours des dernières années. A l’échelle mondiale, 55 pour cent de la population mondiale – 4 milliards de personnes – ne bénéficient d’aucune protection sociale quelconque. Et seulement 29 pour cent de la population est couverte par la protection sociale tout au cours de la vie, de la petite enfance à la vieillesse. Un écart considérable subsiste donc entre les engagements des États, réitérés dans les Objectifs de développement durable décidé en 2015, et les réalisations concrètes.

Une facture impayable pour de nombreux pays
Une cause majeure du sous-investissement dans la protection sociale tient au fait que les pays à faibles revenus n’ont pas les moyens de mieux protéger leurs populations contre les risques sociaux. Résultat, les femmes ne peuvent pas accoucher à l’hôpital si elles n’ont pas payé la facture à l’avance, de nombreuses familles n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants à l’école et les personnes âgées se retrouvent sans aucun revenu dès qu’elles cessent de travailler. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), en prenant en compte les impacts de la pandémie de covid, le déficit de financement pour ces pays (la différence entre ce qui est déjà investi dans la protection sociale et ce qui devrait être investi pour couvrir toute la population tout au cours de la vie) s’élève à 78 milliards de dollars US, y compris 42 milliards pour l’accès aux soins de santé. Pour ces pays, c’est impayable : cela représente 15,9 pour cent de leur PIB combiné. Mais cette somme est relativement modeste pour les pays riches dans leur ensemble : 78 milliards, c’est un peu plus de la moitié du montant total de l’aide publique au développement accordée en 2019 par les trente pays du comité de l’aide au développement de l’OCDE, et cela représente 0,30 pour cent de leur revenu national brut.

Face à cet enjeu, la Belgique est déjà mobilisée. La coopération au développement du pays est traditionnellement active dans les secteurs sociaux des États les plus fragiles, y compris en matière de santé. Une nouvelle initiative de coopération dans la région des Grands Lacs est également en chantier pour travailler dans le domaine de la protection sociale. Mais cela ne suffit pas, il faut un véritable changement de cap une vraie mobilisation internationale.
 
Développer progressivement des mécanismes de solidarité
C’est pourquoi nous appelons de nos vœux la mise sur pied d’un nouveau mécanisme international de financement : le Fonds mondial pour la protection sociale (FMPS). Un tel mécanisme constituerait un puissant incitant pour les pays à faibles revenus à investir davantage dans la protection sociale, au bénéfice de leurs populations. Nous ne proposons pas que les contribuables des pays riches paient indéfiniment pour la protection sociale dans les pays pauvres. Nous proposons plutôt de voir le soutien du FMPS comme nécessaire, dans un premier temps, pour lancer un processus qui permettra progressivement aux pays à faibles revenus de financer eux-mêmes la protection sociale chez eux. Car la protection sociale n’est pas simplement un coût : elle est un investissement, avec des retours potentiellement importants. Elle a un effet stabilisateur des économies car elle permet de maintenir la consommation des ménages en période de récession économique, avec des effets contra-cycliques puissants. Elle permet aux ménages d’épargner pour faire mieux face aux crises liées à la maladie ou à la perte d’emploi. Elle favorise l’investissement dans l’éducation et la santé, permettant à terme d’améliorer la productivité au travail et le taux d’emploi. Elle a des effets multiplicateurs avérés sur l’économie locale. Garantir la protection sociale, ce n’est pas seulement une question de droits humains : c’est aussi favoriser un développement plus inclusif, qui réduit les inégalités au lieu de tolérer qu’elles augmentent.

Une aide au lancement
Les pays bénéficiaires du soutien du FMPS devraient s’engager à mettre sur pied des socles de protection sociale en concertation avec les partenaires sociaux et la société civile, avec qui des plans d’action seraient co-construits. Ces plans d’action, s’étalant sur dix ou quinze ans, prévoiraient une progressive extension de la protection sociale, en identifiant les sources de financement requises. Le rôle de la communauté internationale, à travers le Fonds mondial pour la protection sociale, serait essentiel mais limité dans le temps : il serait de garantir un soutien financier pour la mise sur pied initiale des programmes sociaux, dont une part croissante du financement serait à assurer par la mobilisation des ressources locales.

Une assurance contre les crises systémiques
Un obstacle majeur à la mise sur pied de la protection sociale, surtout lorsqu’elle prend la forme de garanties données à la population, permettant à celle-ci d’exiger le respect des engagements des autorités, tient à l’incertitude croissante face au risque de chocs systémiques. A l’avenir, ces chocs seront plus fréquents et plus coûteux. Or, face à une soudaine hausse du coût des importations ou une baisse des revenus liés aux exportations, face aux ruptures climatiques ou au développement d’une pandémie, des pays à l’économie faiblement diversifiée peuvent voir à la fois les besoins sociaux augmenter brutalement, en même temps que leurs revenus chutent : pris dans ces « ciseaux », les gouvernements peuvent redouter que la protection sociale s’avère impossible à financer en temps de crise, sauf à augmenter encore le niveau déjà insoutenable de la dette publique. C’est pourquoi le niveau d’intervention du Fonds mondial pour la protection sociale devrait augmenter en période de crise, en fournissant aux pays bénéficiaires une sorte d’assurance contre ce type de risque systémique.

Favoriser la coordination
En juin prochain, le Conseil des droits de l’Homme se réunira à Genève pour débattre de l’idée de la mise sur pied du Fonds mondial pour la protection sociale. Il ne s’agit pas de dupliquer les mécanismes de soutien existants, ou de faire concurrence aux organisations qui sont déjà actives sur ce terrain – y compris, notamment, la Banque mondiale, l’OIT et les agences de développement. Il s’agit au contraire de renforcer l’impact de ces acteurs dans le domaine de la protection sociale, de s’assurer qu’ils travaillent ensemble de manière plus coordonnée et de créer ainsi les conditions nécessaires pour que, lors de la prochaine crise, les États ne soient pas pris au dépourvu. Le temps de renforcer la résilience sociale est venu.